Le Régime Okinawa
Le régime d’Okinawa a gagné en notoriété depuis qu’une étude sur la longévité publiée en 2007 a mis en avant Okinawa comme étant une des régions où les gens vivent exceptionnellement plus longtemps qu’ailleurs (les zones bleues). Je vais essayer dans cette article de détailler ce qui fait la particularité de ce régime et son contenu.
Okinawa
La préfecture d’Okinawa est un archipel d’îles qui se trouve au sud du Japon, juste au dessus du tropique du Cancer, et qui compte environ 1,3 millions d’habitants.

De par sa localisation, la région bénéficie d’un climat chaud, ensoleillé et humide, favorable à la pêche et l’agriculture, mais aussi souvent balayé par des typhons.
Du XIVe au XIXe siècle, Okinawa, alors royaume de Ryūkyū, était sous la tutelle de la Chine et bénéficiait d’une position privilégiée dans le commerce entre la Chine, La Corée, le Japon et les Philippines. Cette tutelle chinoise influença profondément la culture culinaire locale. En 1879, le royaume de Ryūkyū fut annexé par le Japon qui apporta lui aussi son influence culinaire. Finalement, Okinawa fut placée sous administration américaines suite à la Seconde Guerre Mondiale, et ce jusqu’en 1972. Cette présence américaine, qui continue aujourd’hui du fait de la présence de plusieurs bases militaires, a elle aussi marquée la culture culinaire de l’île d’une emprunte occidentale.
La zone bleue et le régime d’Okinawa
Mais au delà de son attrait touristique et historique, Okinawa a récemment attiré l’attention de par le fait que la proportion de ses habitants qui atteint 100 ans ou plus est bien plus grande qu’ailleurs dans cette région de l’Asie. On dénombre en moyenne plus de 66 centenaires pour 100 000 habitants dans la région, ce qui est 2 à 3 plus que la moyenne des environs.
Les scientifiques se sont donc penchés sur les caractéristiques qui faisaient la particularité de la région, et comme expliqué dans mon article sur la longévité il en ressort les points suivants :
- L’environnement insulaire a tenu les habitants d’Okinawa à l’écart de l’essor industriel, de la pollution et du stress,
- Les habitants de l’archipel de l’époque, agriculteurs ou pêcheurs pour la majorité, sont quotidiennement restés actifs et travaillaient tant qu’ils le pouvaient, bien souvent au delà de 80 ans,
- Ils ont une vie sociale (famille, amis) et communautaire très active avec de nombreux festivals qui parsèment le cours de l’année,
- Leur alimentation était naturelle et saine, celle-ci étant vue comme une médecine.
En plus de vivre jusqu’à un âge avancé, ces traits font que les habitants d’Okinawa ont un taux faible de problèmes cardio vasculaires (8 fois moins qu’en Amérique) et de certains types de cancers (de 2 à 7 fois moins qu’en Amérique) (réf. 7).
Il faut toutefois noter que si beaucoup de personnes nées au début des années 1900 à Okinawa vivent ou ont vécues jusqu’à un âge avancé, il n’en sera pas forcément de même pour les générations d’après guerre. L’ère moderne et l’influence qu’ont eut la présence américaine ont en effet impacté le quotidien des habitants d’Okinawa, et en particulier leur régime alimentaire qui est devenu plus déséquilibré (sodas, plus de viandes et de gras, produits transformés, …).
Le régime d ‘Okinawa
Les grandes lignes du régime alimentaire
Comme vu en introduction, le régime traditionnel des habitants d’Okinawa a été influencé en premier lieu par le climat local et les typhons fréquents sur l’archipel, et en second par la cuisine Chinoise et sa vision médicinale de l’alimentation.
Ce régime tourne par conséquent en premier lieu autour de la patate douce, et non du riz, celle-ci résistant mieux au aléas climatiques de la région. Puis l’on retrouve des soupes et divers plats à base de légumes et de fruits de mer (algues, …). Enfin, l’alimentation contient un peu de poisson ou de viande (principalement du porc).

Une approche médicinale inspirée de la philosophie chinoise
La cuisine d’Okinawa est très imprégnée de la philosophie de la médecine chinoise.
Celle-ci se manifeste premièrement par le choix et le dosage des ingrédients dans la composition des plats pour apporter équilibre et bien-être. D’un point de vue nutritionnel les différents ingrédients se complètent sur les nutriments qu’ils apportent à notre corps. Et les effets bénéfiques de plusieurs des aliments utilisés dans la cuisine d’Okinawa et considérés comme des « médicaments » ont en effet été validés d’un point de vue scientifique.
Ensuite cette philosophie a aussi apporté aux habitants d’Okinawa une meilleure conscience et écoute de leur corps. Il est fréquent d’entendre parler du hara hachi bu par exemple, attitude consistant à ne pas remplir son estomac à plus de 80% et qui nécessite donc écoute et contrôle de soi. Cette approche elle-même s’apparente à une restriction calorique et a démontré ses bienfaits sur la santé et la longévité.
Le repas type
Le repas traditionnel se composait en général d’un bol de soupe miso, de patate douce et d’un ensemble de petits plats.

La patate douce locale, appelée beni-imo et à la chair violette, jouait un rôle centrale dans l’alimentation. Elle était consommée cuite à la vapeur et souvent accompagnée de la pâte de miso rouge (pâte de graines de soja fermentées). Ses feuilles aussi étaient consommées dans les soupes ou cuite dans les plats.
Les plats étaient quant a eux cuisinés soit avec des ingrédients crus, ou encore des ingrédients revenus à la poêle, ou enfin en faisant mijoter les ingrédients dans un bouillon de miso ou de dashi.
Le repas s’accompagnait bien souvent d’un thé au jasmin. Quelques fois les habitants pouvait aussi consommer un alcool local, l’awamori, fabriqué à partir de millet.
Les ingrédients
Si l’on excepte la patate douce qui constituait le gros de l’alimentation du peuple (50 à 90% des apports caloriques quotidiens), les habitants d’Okinawa consommaient ensuite du tofu, une grande variété de légumes (melon amer, courges, choux, carottes, …), des produits de la mer (algues, varech), quelques fruits et enfin un peu de poissons, mollusques et crustacés et, à moindre fréquence, de la viande.

Il est aussi à noter l’utilisation fréquente d’épices comme le curcuma.
Le riz était plutôt réservé aux personnes aisées, car importé et plus coûteux. Les habitants d’Okinawa consommaient aussi de temps en temps des soba, nouilles ici fabriquées avec de la farine, et non du millet, et de l’eau de chaux.
Il semblerait par contre que l’alimentation des habitants d’Okinawa était plutôt faible en sel.
Enfin, le sucre était présent dans l’alimentation sous la forme de sucre de canne qui était cultivé localement et appelé kurozatō, sucre noir d’Okinawa. Il était utilisé dans certains plats, avec le thé ou dans certaines douceurs.
Notes sur la viande et le poisson
Le poisson était consommé environ trois fois par semaine, et la viande environ une fois toutes les deux semaines.
La viande était le plus souvent de la viande de porc, héritage de l’influence chinoise. La viande était généralement cuisinée en petites quantité et était un ingrédient parmi les autres plutôt qu’un met principal. Les cochons étaient abattus lors des festivités de début d’année, et ce qui n’était pas consommé était ensuite conservé pour être consommé sur le restant de l’année.
Il est aussi à noter que le cochon était consommé dans son entièreté. Même le sang et les parties cartilagineuses comme les oreilles ou les pieds.

La viande était aussi bien souvent dégraissée en la faisant mijotée pendant environ 30 minutes, un procédé appelé akunuki. Le gras était récupéré pour conserver les aliments ou pour servir de gras de cuisson, l’huile étant rare et cher, et le bouillon servait de base pour la cuisson d’autres aliments et les soupes.
Les points clef du régime d’Okinawa
Une régime riche et varié en vitamines et éléments
Le régime d’Okinawa est un régime varié, proche du végétarien.
Il est riche en glucides, en vitamines et en nutriments du fait de la forte consommation de patates douces, de légumes et d’algues.
Les protéines étaient principalement apportées par le tofu, et quelques fois le poisson et la viande, faisant que ce régime était faible en graisses saturée.
Le fait de consommer les parties non nobles du cochon (oreilles, peau, pieds, …) apportait aussi des éléments comme le collagène et l’élastine qui sont absents des produits d’origine végétale.
Le plein de « super foods »
Les îles d’Okinawa sont aussi réputées pour la présence de plusieurs « super foods », ces aliments aux propriétés bénéfiques pour notre organisme.
Gōyā, le melon amer
Le gōyā est une sorte de melon amer très fréquent dans la cuisine locale d’Okinawa, souvent consommé frit avec du tofu (gōyā champuru).

Il est reconnu pour avoir de multiples bienfaits comme par exemple d’être anti-diabétique, de réguler le taux de glucose dans le sang (comme la patate douce d’Okinawa) ou encore d’être un anti-inflammatoire.
Il est cependant aussi connu pour avoir quelques effets nocifs. C’est en premier lieu un abortif, donc absolument à proscrire pour les femmes enceintes. Et sa consommation sous forme de thé peut avoir des effets hypoglycémiants pour les enfants.
Le gettō
Le gettō, une plante de la famille du gingembre, Les habitants d’Okinawa en utilise les feuilles et les rhizomes dans la cuisine et pour la préparation de thés médicinaux.

Il a été démontré que le gettō avait des propriétés anti-oxidantes, anti-inflammatoires, anti-fongigues et anti-bacteriennes, et elle serait un acteur clef dans la longévité des habitants d’Okinawa (réf. 8).
Elle est par ailleurs connue sous le nom de « atoumo » aux antilles, du fait là aussi qu’elle y a la réputation de soigner tous les maux.
L’umibudō et le kombu
L’umibudō et le kombu sont des algues très présentent dans l’alimentation des habitants d’Okinawa. L’umibudō se mange généralement crue, accompagnée d’une sauce à base de soja ou en accompagnement dans un plat. Le kombu peut de se côté être frit ou cuit en bouillon.

Ces algues sont très riche en éléments (le kombu en compte plus de 45) qui sont bien assimilés par notre corps. Elle contiennent notamment des protéines, des acides aminés, des minéraux comme l’iodine ou d’autres produits soufrés, et de nombreux acides gras essentiels poly-insaturés (DHA, EPA, ALA, …).
Ces apports en acides aminés permettent de compenser leur faible présence dans les produits à base de soja et la patate douce.
En synthèse
L’alimentation des habitants d’Okinawa du début du XXème siècle semble avoir largement contribuée à la longévité de ses habitants.
- Le régime était basé principalement autour de la consommation de légumes centré autour de la patate douce et accompagné de diverses courges, d’algues, de choux, de carottes, et de tofu. L’ensemble faisait de ce régime un régime riche et complet en nutriments tels que les vitamines, les minéraux, les fibres, les protéines, …
- Il était de plus complémenté par une consommation modérée de poissons, et plus rarement de viande préparée afin d’en limiter le taux de graisses saturées, qui permettaient d’apporter les éléments d’origine animale qui pouvait manquer à une alimentation purement d’origine végétale.
- Au niveau boisson, les habitants consommaient principalement du thé au jasmin, et avaient une consommation d’alcool modérée.
- Le tout était marqué par une approche médicinale de l’alimentation basée sur les préceptes et la philosophie de la médecine chinoise.
Mais il ne faut pas oublier que l’histoire, le climat et l’environnement d’Okinawa ont largement contribué à l’efficacité de ce régime :
- Un environnement rural, peu urbanisé et industrialisé, et ensoleillé, réduisant le stress et la pollution,
- Une vie active au travers des travaux dans les champs ou de la pêche,
- Une vie communautaire marquée de dives événements festifs au travers de différents festivals,
J’espère que cet article vous aura appris des choses sur cette région et ce régime tant vanté pour ses bienfaits.
N’hésitez pas à faire part de vos questions et commentaires.
Stéphane
Références
- History and characteristics of Okinawan longevity food, 2001
- Okinawa: Mel Gibson might know what women want but this place has what women need, to thrive even into their second century, that is., octobre 2016
- Légumes traditionnels des îles d’Okinawa
- Ono Okinawa – site en anglais
- 沖縄の長寿、秘密は「高炭水化物食」にあり? La longévité à Okinawa, le secret réside-t-il dans un « régime riche en glucides » ? – article en japonais, version traduite avec Google Translate
- 沖縄の伝統的な食文化 Okinawa’s traditional food culture – article en japonais, version traduite avec Google Translate
- Caloric restriction, the traditional Okinawan diet, and healthy aging: the diet of the world’s longest-lived people and its potential impact on morbidity and life span, octobre 2007
- Viewpoint: A Contributory Role of Shell Ginger (Alpinia zerumbet) for Human Longevity in Okinawa, Japan?, février 2018
- 沖縄の食文化 – La culture alimentaire à Okinawa – article en japonais, version traduite avec Google Translate
- Ancient Ryukyu
- Healthy aging diets other than the Mediterranean: A Focus on the Okinawan Diet, janvier 2014